L’épisode « Men Against Fire » de la série Black Mirror met en scène un implant militaire avancé. La puce a été créée dans le but d’améliorer l’efficacité des armées. Tous les soldats qui en sont porteurs possèdent une perception identique et normée. Grâce à une surimpression rétinienne, les soldats possèdent une vision modifiée et ont accès à différentes informations importantes (retransmission de vues de drones, plans en trois dimensions, par exemple). L’implant assiste les soldats sur le terrain et enregistre également l’entièreté des percepts de ceux-ci. D’autre part, certains sens des soldats, comme l’odorat, sont coupés ou altérés de façon à minimiser les distractions sur le terrain. L’interface permet aussi à son usager de réexpérimenter phénoménologiquement ce qui a déjà été vécu par celui-ci. Il ne s’agit pas simplement de visionner des images, mais de ressentir avec exactitude un état passé. Dans une scène, le soldat Stripe (Malachi Kirby) apprend malgré lui que l’implant a cette fonction lorsqu’il est contraint de revivre, comme s’il y était, l’assassinat qu’il a commis quelques jours auparavant. Stripe ignore également que l’interface substitue en temps réel à la réalité qu’il perçoit une vue modifiée (ou « augmentée ») de façon à déshumaniser, par des effets visuels, sonores et olfactifs, les ennemis qu’il doit abattre. Le soldat perçoit ainsi une réalité déformée par l’interface nerveuse numérique dont il est porteur, son expérience vécue étant en partie simulée informatiquement. Lorsqu’il dort, ses rêves sont aussi manipulés par le biais de l’implant. Et une partie de sa mémoire épisodique a été effacée. MASS constitue en quelque sorte une remédiation du casque SQUID (Strange Days, 1995), qui provient lui aussi du domaine militaire. Dans « Men Against Fire », les soldats sont surveillés par le biais de l’implant, qui enregistre continuellement l’expérience de chacun d’eux. L’appareillage matériel conséquent de Strange Days (les deux casques SQUID, les mini-disques et le lecteur approprié) a laissé la place à un implant invisibilisé, dont les porteurs ignorent certaines des fonctionnalités. Stripe sait qu’il dispose d’une interface nerveuse graphique, qui l’aide à réaliser ses actions militaires, mais n’est pas conscient que sa vision est modifiée en permanence. Lorsqu’il l’apprend, il n’a pas la possibilité de désactiver ces fonctions opérant à son insu ou de se débrancher de la simulation, car l’implant MASS est logé dans son corps (dans ses globes oculaires semble-t-il). La miniaturisation et l’invisibilisation du dispositif technologique enlève toute emprise à son usager sur celui-ci. Contrôlé par un tiers, l’implant peut devenir un instrument de torture. Par exemple, lorsqu’on oblige un usager à revivre en boucle certaines expériences passées, il lui est impossible de fermer les yeux ou de se boucher les oreilles puisque l’interface est intracorporelle. À l’inverse, un tiers peut aussi effacer certains souvenirs des usagers. On remarque dès lors que la forme matérielle du dispositif technologique sous-jacent à l’interface nerveuse numérique revêt une importance fondamentale du point de vue de la liberté individuelle. « Men Against Fire » est intéressant à cet égard : la transparence de la médiation se double d’une invisibilisation matérielle du dispositif, lequel est entremêlé au corps.
E.C. 2020
Monde fictionnel
Verbruggen, Jakob (réalisation); Brooker, Charlie (scénario), Black Mirror, saison 3, épisode 5: « Men Against Fire », Royaume-Uni, 2016, 60 min.