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Cyberconversion
Dans la science-fiction, une cyberconversion renvoie à un processus au cours duquel la mémoire d’une personne est traduite en langage numérique. Le procédé technologique vise à simuler ou émuler la personne dans un ordinateur (voir aussi : Identité de terminal), lorsque celle-ci n’est pas transférée dans un autre corps biologique. La cyberconversion renvoie à une idéologie technologique qui présuppose que l’humain, sa personnalité, son esprit – dans certains cas, son corps – sont entièrement transposables sous la forme de données informatiques et de modèles algorithmiques. Le terme « cyberconversion », que je propose, est ici préféré à l’expression « téléversement de l’esprit » (traduction de « mind uploading »). Ce procédé science-fictionnel, bien qu’il fasse l’objet d’une réflexion très sérieuse en philosophie, rejoue les rapports d’identité entre copie et original (une personne « transférée » dans une machine est-elle encore la même?). Contrairement à l’expression « téléversement de l’esprit », l’idée de « conversion » met l’accent sur le fait que toute traduction implique à la fois un gain et une perte. Bien que la copie se prenne parfois pour l’original, elle en diffère inévitablement.
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Corps-prothèses
Dans certains récits de science-fiction, le corps humain devient une sorte de prothèse : il constitue un réceptacle mnésique dans lequel la mémoire d’un individu peut être transférée à l’aide de technologies avancées. Les œuvres mobilisent à la fois des figures des corps-prothèses biologiques et des figures de corps-prothèses machiniques. Par exemple, dans le film Transcendence (Wally Pfister, 2014), le personnage principal a subi une cyberconversion et a été transféré dans une machine. Il possède dans les premiers temps un corps virtuel prothétique simulé sur un ordinateur. On parle dans ce cas d’identité de terminal, une identité consciente d’elle-même émulée sur un terminal informatique. Plus tard dans le récit, le personnage virtuel fabrique un corps biologique en vue de s’y transférer. Il aurait cependant très bien pu utiliser un corps humain déjà existant auquel on aurait effacé la mémoire, comme c’est le cas de nombreuses œuvres (par ex. Self/less, Chrysalis, Advantageous, Transferts, etc.). La liste qui suit permet de distinguer les différents types de corps-prothèses recensés dans le présent thésaurus.
Corps-prothétique biologique
- Réplique biologique (par clonage). Ex. : Transcendence.
- Réplique esthétique (par chirurgie esthétique sur un corps existant). Ex. : Chrysalis.
- Nouvel aspect physique (corps humain existant non modifié esthétiquement). Ex. : Self/less, Advantageous, Transferts.
Corps-prothétique machinique
- Corps virtuel prothétique (identité de terminal). Ex. : Freejack, Transcendence.
- Corps robotique prothétique. Ex. : Puzzlehead.
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Dataveillance
La « dataveillance » est un mode de surveillance propre au capitalisme numérique. Ce mode repose sur la collecte, le tri et l’agrégation d’ensembles de données en vue d’identifier, de pister, de contrôler, de prévoir et de contraindre les comportements individuels (Clarke, 1988; Raley, 2013; Kitchin, 2016). Ce type de surveillance, qui induit une nouvelle forme de pouvoir coercitif sur les individus, se déploie en trois temps (Rouvroy et Berns, 2013). Le premier temps correspond à la récolte en temps réel et à la conservation d’une vaste quantité de données numériques non triées issues de diverses sources. La deuxième étape de la dataveillance est celle du forage des données (data mining) où les données sont traitées sous la forme de corrélations. Rouvroy et Berns notent que contrairement aux études statistiques traditionnelles, qui partaient d’une hypothèse préalable en vue de confirmer ou d’infirmer celle-ci, le traitement algorithmique automatisé produit un « savoir » corrélatif sans hypothèse préalable à partir d’une vaste masse de données non triées (Rouvroy et Berns, 2013, 170). Finalement, la collecte continue et la mise en corrélation en temps réel des données permettent de générer des « profils numériques » ou « data double » des individus (Haggerty et Ericson, 2006; Rouvroy et Berns, 2010). Ces profils permettent notamment de générer diverses prédictions concernant les comportements individuels.
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Faux souvenir
En psychologie, un faux souvenir désigne un souvenir inventé inconsciemment par un individu. Une personne peut ainsi être intimement persuadée d’avoir vécu un épisode qui n’a pourtant jamais eu lieu. Un faux souvenir peut aussi faire référence à un souvenir implanté par le biais d’une technique de manipulation psychique. L’expérience menée par Elizabeth Loftus (« Lost in the mall technique ») en est l’exemple le plus connu. Par le biais d’une technique narrative, cette méthode vise à « implanter » un faux souvenir chez une personne, en l’occurrence le souvenir d’avoir été oublié en bas âge dans un centre commercial (Loftus et Pickrell, 1995). En 2015, une étude a reproduit l’expérience en induisant chez des participants le faux souvenir d’avoir commis un délit qui aurait impliqué une intervention policière (Shaw et Porter, 2015). Cette « science des faux souvenirs » met au jour la labilité de la mémoire et l’influence de la pression psychologique sur la mémoire épisodique. Dans la science-fiction, les machines de modification de mémoire présentent une autre forme de technique d’implantation de faux souvenir : le faux souvenir implanté numériquement grâce à un dispositif technologique.
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Hyperlifelogging (hyperdiarisation poussée)
Généralement, le lifelogging (hyperdiarisation) renvoie à une pratique d’accumulation de données numériques reliées aux activités quotidiennes. Par le biais de multiples capteurs (téléphones de dernière génération, objets connectés, etc.), le lifelogger est branché en continu à ses appareils et cherche à constituer un fonds de données exploitables dans le but de procéder à des recoupements d’informations dans le futur. Dans la fiction, je nomme « hyperlifelogging » une version plus poussée de lifelogging, dans laquelle les capteurs technologiques sont directement implantés dans le corps des individus (bionanopuces, interfaces nerveuses numériques, notamment).
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Identité de terminal (terminal identity)
Reprise à William S. Burroughs, la notion d’identité de terminal (terminal identity) désigne, selon Scott Bukatman (1993), une conscience émulée par un support technologique (écran d’ordinateur, télévision). Dans la fiction, une personne ayant par exemple été « téléversée » dans une machine peut apparaître sur un écran d’ordinateur et se reconnaître comme sujet virtuel autonome, doté d’une identité et d’une subjectivité propres.
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Intelligence artificielle faible/forte
Dans un texte intitulé « Minds, Brains and Programs » (1980), John Searle différencie l’IA faible de l’IA forte. L’IA faible qualifie les machines actuelles qui suivent des programmes et peuvent même auto-évoluer. L’IA forte qualifie quant à elle des machines qui seraient dotées d’une conscience d’elles-mêmes, d’un « esprit », et d’une intelligence comparable à l’intelligence humaine. Les chercheurs en IA tentent de reproduire les conditions matérielles de possibilité d’émergence d’une conscience, en plus d’introduire la notion de hasard dans leurs modélisations. Pour plusieurs futurologues, l’avènement de l’IA forte est synonyme de l’avènement de la « singularité technologique ».
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Interface nerveuse numérique
Dans la science-fiction, une interface nerveuse numérique (INN) correspond à une interface privée, située « dans la tête » d’un individu et visible uniquement par lui. Généralement, l’INN est générée par une bionanopuce implantée dans le cerveau ou intégrée à même la rétine. Selon les cas, les individus porteurs de tels dispositifs peuvent naviguer dans leur INN par la pensée, par des gestes ou par le biais d’une manette. La science-fiction imagine différentes formes d’INN (voir Caccamo, 2019).
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Interface neuronale directe (Brain computer interface)
L’interface neuronale directe existe en dehors de la fiction. Le dispositif peut servir à effectuer des actions « par la pensée », notamment par des personnes en situation de paralysie : activer un interrupteur connecté au réseau, bouger un pointeur sur un écran d’ordinateur, etc. Généralement, un casque électromagnétique non invasif est posé sur la tête d’un individu. Les impulsions cérébrales de cet individu sont captées par le casque pour être encodées et traduites en informations binaires. Un certain nombre de recherches ont été menées dans les domaines du handicap, des jeux vidéo et de la réalité virtuelle (Lotte, 2012).
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Mémoire autobiographique
La mémoire autobiographique renvoie à la capacité mnésique épisodique des individus (voir l’entrée Mémoire épisodique). Elle exprime cependant plus largement la capacité personnelle des individus à se raconter par le biais d’un récit de soi (voir Ricœur, 1990).
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Mémoire biologique
L’expression « mémoire biologique » réfère à la capacité de rétention et de restitution mnésiques que possèdent les humains ou plus généralement les animaux. Les psychologues différencient généralement trois grands types de mémoire en interaction les unes avec les autres : la mémoire épisodique, la mémoire sémantique et la mémoire procédurale. Cette mémoire biologique, dont le corps constitue le support ou média fondamental, interagit avec deux dimensions : une dimension sociale et interpersonnelle (voir l’entrée Mémoire personnelle/mémoire collective) et une dimension intermédiale (qui se rapporte notamment aux supports de mémoire externes au corps, voir Caccamo, 2017b).
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Mémoire épisodique
La mémoire épisodique est la mémoire autobiographique (expériences passées) d’un individu. Elle est généralement associée à des lieux et à des dates. Elle comprend non pas des faits du monde, mais des événements auxquels l’individu a pris part.
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Mémoire numérique
L’expression « mémoire numérique » renvoie avant toute chose à la mémoire binaire des ordinateurs exprimée en bits. Elle fait référence aux données conservées dans les différents supports de mémoire informatiques (disques durs électromagnétiques, mémoire flash). Le corpus de science-fiction de ce thésaurus prend plaisir à brouiller les frontières entre la mémoire biologique ou « naturelle » des individus et la mémoire numérique, c’est-à-dire entre les facultés mnésiques des individus et la capacité de rétention d’informations par les machines. Ainsi voit-on émerger une nouvelle forme de « souvenirs numériques » dans les diégèses. Loin des photographies numériques que l’on ramène de vacances, la fiction imagine une catégorie de souvenirs biologiques numérisés : par exemple de vieux souvenirs d’enfance conservés dans la mémoire biologique sont traduits sous la forme d’images audiovisuelles. Les œuvres imaginent également des technologies permettant d’enregistrer en temps réel les sens de la vue et de l’ouïe (voire l’entièreté des percepts phénoménologiques) en vue de pouvoir « revivre » le passé. Ces enregistrements forment des « souvenirs numériques » d’un nouveau genre. Cette manière d’appréhender la mémoire épisodique à travers le prisme du numérique problématise notre conception usitée souvenir, tant en ce qui a trait à sa visée que par rapport à ce qu’il représente : quelle est la part de vérité d’un souvenir (visée épistémique) et quelle est sa part imaginative (visée créative) (voir à ce sujet Caccamo, 2017a, 195 sq.)?
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Mémoire personnelle/mémoire collective
Il est communément admis que c’est au sociologue Maurice Halbwachs que l’on doit le couple mémoire individuelle (ou personnelle)/mémoire collective (Halbwachs, 1997). La mémoire personnelle correspond à la mémoire singulière d’une personne, à ses propres souvenirs et connaissances. Mais cette mémoire individuelle est en constant rapport avec la mémoire des autres et se confectionne de manière intersubjective (voir également Ricœur, 2000). À travers leurs interactions (dialogue avec d’autres individus, contact avec des représentations du passé, observations, mimétisme, etc.), les individus modifient malgré eux leurs propres souvenirs et leurs mémoires (sémantique et procédurale).
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Mémoire procédurale
La mémoire procédurale désigne une faculté animale qui prend en charge les aptitudes cognitives et motrices, les procédures gestuelles et les comportements appris et automatisés.
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Mémoire sémantique
La mémoire sémantique correspond chez les humains aux connaissances relatives aux faits du monde, aux mots, aux concepts, aux dates historiques clés. C’est grâce à cette mémoire que nous avons des compétences conceptuelles.
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Mémoire totale
L’idée de mémoire totale (Caccamo, 2017a) renvoie à un ensemble de machines imaginaires permettant notamment (1) d’enregistrer et de conserver la mémoire humaine, en particulier les souvenirs biologiques, sous un format numérique. Les machines de mémoire totale peuvent aussi (2) offrir un accès aux données enregistrées, sous la forme d’images audiovisuelles, de lignes de code ou de stimulations phénoménologiques, et (3) permettre de modifier la mémoire d’un individu. Posséder une machine de mémoire totale forme une sorte de « rêve » paradoxal et relève d’un « jeu » dangereux.
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Expansion mémorielle (Memory enhancement)
L’expression memory enhancement renvoie généralement à des procédés visant à améliorer la mémoire d’un individu par la prise de drogues pharmaceutiques ou au moyen de diètes alimentaires particulières (Stern et Alberin, 2013). Dans la science-fiction, l’« amélioration » de la mémoire peut consister à en « augmenter » la capacité de stockage, mais également à apprendre plus vite diverses tâches grâce à des machines cybernétiques, qu’il soit question de connaissances intellectuelles ou de savoir-faire pratiques.
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Singularité technologique
La « singularité technologique » renvoie à un événement fantasmé lors duquel les intelligences artificielles deviendront fortes, c’est-à-dire dotées d’une conscience et de capacités émotionnelles égales à celles de l’humain. Ce moment, situé en 2045 par Ray Kurzweil (le plus influent des futurologues aujourd’hui), est également synonyme pour les transhumanistes d’un dépassement, voire d’une fin de l’Homo sapiens.
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Souvenir numérique
Voir l’entrée Mémoire numérique.
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Souvenir biologique numérisé
Voir l’entrée Mémoire numérique.
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Pour citer ce lexique |
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Caccamo, Emmanuelle, « Lexique », dans Encyclopédie de médias imaginaires : machines de mémoire totale, 2020 [MAJ : 17 juin 2021]. En ligne : <www.memoiretotale.org/lexique>. |